mercredi 4 février 2015


Entrevue Facebook avec Thierry Schaffauser à propos de son livre Les luttes des putes (Paris, La fabrique, 2014).


(1) On a parfois du mal dans ton livre à différencier le sujet qui parle : le « nous pute », le « nous Strass » ou le « je Thierry ». Est-ce volontaire ou non ? Est-ce que cela te semble problématique ou totalement secondaire ? Pourrais-tu nous éclairer ?

J’ai essayé de parler des luttes des putes au pluriel, y compris en décrivant certains mouvements auxquels je n’ai pas directement participé ou dont je me sens l’héritier comme ceux de 1975 par exemple. Bien qu’il existe de vraies nuances entre les différents mouvements de travailleurSEs du sexe, j’ai préféré en parler de manière générale car il y a tout de même de nombreux points qui font clairement consensus. Néanmoins j'essaie de présenter ces nuances et l’évolution dans les stratégies, les termes employés, les alliances, etc. Je me concentre beaucoup sur la France et sur le travail du STRASS car c’est cette organisation qui a le plus produit théoriquement ces dernières années dans ce pays, en particulier sur la notion de lutte syndicale. Je me réfère aussi au Royaume Uni car j’y ai vécu et milité au sein d’un syndicat généraliste. Il est difficile pour moi aussi de séparer les « nous » du « je » car ma pensée ne peut pas être séparée du travail collectif produit par le mouvement. Je ne peux pas prétendre que toutes les putes se retrouvent dans ces luttes, mais je crois que la plupart des travailleurSEs du sexe qui luttent se retrouvent dans les analyses présentées de notre oppression commune. J’espère que le livre peut aussi être un outil pour des collègues qui y trouveront des mots pour exprimer un ressenti partagé.


(2) Tu pointes l’incapacité de Wittig, Delphy et Millet à penser le travail sexuel à cause notamment de leur aveuglement et de leurs préjugés de classe. Pourtant, tu défends ensuite la stratégie du Strass en termes de classe des putes. N’y a-t-il pas là une contradiction ou du moins une limitation stratégique : répondre au classisme des abolitionnistes par une réponse matérialiste radicale, qui privilégie ce classisme par rapport aux autres rapports sociaux ? Autrement dit, la focalisation sur la classe sociale n’invisibilise-t-il pas les spécificités militantes des travailleuses(rs) du sexe gais et/ou trans et/ou racialisées et/ou séropos ?

Je n’opposerais pas la question de la classe à celle d’autres catégories d’analyse. Dans mon livre précédent Fières d’être Putes, je prenais beaucoup plus un angle queer et proposais une lecture des travailleurSEs du sexe comme minorité sexuelle en faisant la comparaison avec les oppressions de sexualité et de genre, notamment sur les questions du stigma et de l’invisibilité, du coming-out, de la réappropriation de l’insulte et de la fierté comme stratégies d’émancipation. Dans les Luttes des Putes, j’évoque encore cette comparaison au sujet de la pathologisation de nos identités depuis le 19ème siècle et je critique les premières stratégies que j’appelle de « déresponsabilisation » qui consistaient à dire dans un premier temps « ce n’est pas de ma faute, je n’ai pas choisi ma condition ». Cependant une approche uniquement en termes de politiques sexuelles minoritaires a elle aussi ses limites car beaucoup de travailleurSEs du sexe sont des femmes hétérosexuelles qui ne partagent pas forcément cette culture politique et ne se reconnaissent pas dans le concept de minorité sexuelle. Traditionnellement, les mouvements de prostituées se sont inscrits dans les luttes féministes et sexuelles, et parfois en intégrant les questions de race et de migration. Mais le fait de parler de « classe des putes » est en fait assez nouveau.

Je comprends la crainte que l’accent mis sur la classe efface les spécificités d’oppression des minorités au sein de cette même classe. C’est une réaction normale puisqu’historiquement les mouvements féministes, homosexuels ou contre le racisme se sont construits en opposition au reste de la gauche et de l’extrême gauche qui les excluait. Mais la situation a aussi évolué par rapport aux années 1970. Aujourd’hui, les questions de genre, de sexualité et de race sont un peu mieux pris en compte au sein de la gauche, et il y a eu des avancées politiques importantes pour ces groupes, et même une possibilité de représentation politique bien que très imparfaite. Pour les travailleurSEs du sexe de 2015, tout ceci n’existe pas. Nous sommes toujours excluEs par les mouvements de gauche. Nous ne sommes toujours pas considéréEs comme des travailleurSEs, et donc nous ne sommes pas penséEs comme appartenant à la même classe. Aujourd’hui beaucoup de travailleurSEs du sexe pédés ou trans militent en tant que travailleurSEs du sexe alors qu’ils militaient auparavant dans des organisations dites LGBT ou de lutte contre le sida. C’est aussi parce que le besoin se fait ressentir d’exprimer une lutte qui n’a pas progressé avec les autres luttes minoritaires. Les travailleurSEs du sexe ont toujours participé à ces luttes mais ce sont aussi celles et ceux qui en ont le moins profité parce leur position sociale n’a pas progressé. L’accent mis sur la question de la classe est sans doute une réponse au fait qu’il est temps de prendre en compte cette question du travail sexuel comme travail. Je pense que par rapport à certains mouvements de travailleurSEs du sexe, le STRASS veut aussi aller plus loin que les débats sur la décriminalisation, et agir contre l’exploitation dans les industries du sexe, pour le droit du travail, et l’organisation syndicale.

Il est toutefois bien évident que les travailleurSEs sont à l’intersection de plusieurs oppressions ; parce que le travail sexuel est une ressource économique pour les personnes qui sont souvent déjà discriminées et exclues dans le marché du travail dit normal. On ne peut donc pas penser les luttes des putes seulement en tant que travailleurSEs, mais il faut inclure toutes les autres questions féministes, sociales, pour les droits des minorités, etc. Je crois que c’est ce que fait le STRASS quand il revendique la régularisation des sans papiers, la dépénalisation des drogues, le droit au changement de sexe d’état civil, la revalorisation des minimas sociaux, le droit à la retaite, etc. Nous luttons aussi contre les contraintes qui pèsent sur nos vies et qui peuvent nous pousser à exercer le travail sexuel, et pas seulement pour l’amélioration de nos conditions de travail.


(3) Au sein de l’APAQ, il y a des personnes vivants avec le VIH, d’autres séronégatives/ séroconcernées qui utilisent pour certaines la PrEP. La position que tu développes sur la PrEP dans ton livre et qui est aussi celle développée par le Strass – pour résumer : pas de PrEP sans décriminalisation du travail du sexe d’abord – pose problème selon nous. Alors que la question de l’intersectionnalité traverse de ton livre, l’impensé intersectionnel est patent au sujet de la PrEP : la prévention biomédicale du VIH n’y est abordée qu’à travers le « sujet pute », alors même que les travailleuses(rs) du sexe ne peuvent être réduites à leur travail. C’est comme-ci on disait : pas de prévention biomédicale pour les femmes trans (très séroconcernées) sans dépathologisation des trans. Si la prévention structurelle – donc la décriminalisation de la prostitution dans le cas ici du travail du sexe – devait prévaloir sur l’accessibilité à la PrEP ou sur les questions de santé individuelle, à quoi bon distribuer des préservatifs gratuits aux travailleuses(rs) du sexe exerçant dans des pays qui pénalisent la vente et/ou l’achat de services sexuels ? Il émerge là pour nous un double standard paradigmatique incohérent, alors même que les ressorts de la stigmatisation à l’œuvre contre le travail du sexe et l’utilisation de PrEP – donc le sexe sans préservatif – sont les mêmes : la stigmatisation d’une sexualité non normative. Si ceux qui militent contre l’ordre moral qui frappe le travail du sexe se transforment à leur tour – au nom d’un soi-disant intérêt communautaire supérieur – en prescripteurs d’une prévention unidimensionnelle réduite au préservatif, ils deviennent à leur tour une police du sexe. Qu’en penses-tu ?

Au sein du STRASS, il y a aussi des séropos et des séronegs et nous nous sentons très concernéEs par toutes les problématiques VIH et de santé sexuelle. C’est pourquoi nous avons été un des premiers groupes de travailleurSEs du sexe à produire une note sur la question de la PrEP. Je pense que vous avez mal compris la position du STRASS en la résumant à « pas de PrEP sans décriminalisation ». Nous n’avons jamais rien exprimé en ces termes. Nous pointons plutôt le fait qu’un traitement anti-VIH en prévention n’est pas une demande issue de la communauté des travailleurSES du sexe, mais de certains gays qui dominent l’agenda politique de la lutte contre le sida. Nous expliquons en effet que le premier facteur de vulnérabilité au VIH n’est pas lié à une fatigue dans l’usage du préservatif mais aux conséquences de la criminalisation et que les priorités politiques pour lutter contre le sida chez les TDS devraient se trouver là, même si cela ne rapporte rien aux laboratoires.

En France, il y a des hommes travailleurs du sexe qui ont exprimé le désir d’utiliser la PrEP comme prévention et ils le font déjà en suivant l’essai Ipergay. Les travailleurSEs du sexe dits HSH et trans peuvent déjà prendre ce traitement en s’inscrivant dans cet essai. La question qui nous a été posée était d’inclure les travailleurSEs du sexe dans cet essai, ce qui signifiait en réalité les femmes cisgenres. Nous avons discuté collectivement de l’intérêt de ce nouvel outil de prévention, et avons fait le constat qu’aucune femme ne souhaitait remplacer le préservatif par ce médicament pour plusieurs raisons, mais principalement à cause de la non-protection contre les IST et la grossesse, et du souhait de maintenir le préservatif comme barrière symbolique avec les clients. Le STRASS n’a jamais dit que la prévention devait être unidimensionnelle et seulement axée sur le préservatif, ni qu’il fallait stigmatiser la sexualité sans préservatif, mais plutôt qu’il fallait accompagner au mieux les personnes qui souhaitaient prendre ce traitement comme prévention, qu’il devait être accessible gratuitement, mais aussi il est vrai, qu’il fallait veiller à ce que cet outil qui est présenté comme un choix supplémentaire dans sa prévention ne se retrouve pas comme le seul choix possible à cause des contraintes économiques et des effets de concurrence au sein des industries du sexe. C’est une vraie crainte pour beaucoup de travailleurSEs du sexe en particulier chez les femmes, qui contrairement aux gays, n’ont pas diminué leur usage du préservatif avec leurs clients. Pour nous, il s’agit de défendre nos conditions de travail, y compris dans le fait de ne pas se voir imposer un outil de prévention qui ne serait pas notre choix mais davantage peut être celui des clients.


(4) D’autre part, le Strass n’a jamais pris de position officielle à propos de l’essai Ipergay, dont l’utilisation du placebo a posé de graves questions éthiques, alors même que le rapport du NSWP sur la PrEP recommande aux associations de travailleuses(rs) du sexe de prendre position sur ce type d’essais. Est-ce parce que certains de vos membres sont aussi membres de l’association Aides (co-investigateur de l’essai avec l’ANRS) et participants à Ipergay (nous lisons Yagg de temps en temps) ? Ou s’agit-il d’autre chose ?

Nous nous sommes saisis de cette question il me semble un peu avant la publication du rapport du NSWP. L’essai Ipergay ne s’adresse pas spécifiquement aux travailleurSEs du sexe et nous avons tardé à nous y intéresser puisque nous ne nous sentions pas spécialement concernés au départ. La question du placebo avait déjà été critiquée auparavant par d’autres groupes et c’est vrai que nous ne l’avons pas soulevé, puisque nous nous sommes concentrés sur les problématiques liées à l’usage de la PrEP dans le contexte du travail sexuel. L’essai Ipergay a finalement arrêté l’utilisation du placebo. Est-ce suite aux critiques ? Je ne sais pas. Les débats internes n’ont pas eu lieu sur ce point en fait, mais il y a eu des tensions assez fortes entre certains pro et anti PrEP. La note que nous avons produite a en tout cas satisfait l’ensemble du groupe quelques soient les appréciations. Nous avons été approchés par Ipergay il y a environ un an car ils voulaient communiquer spécifiquement auprès des escorts gays. A ce moment là, nous avons eu des débats car la communication proposée ne nous satisfaisait pas, et surtout pour nous l’enjeu était d’apporter une offre de prévention aux travailleurSEs du sexe et pas de recruter à tout prix pour cet essai. Finalement, la campagne proposée par le comité d’Ipergay n’a pas été diffusée. Je ne pense donc pas qu’on puisse dire que le STRASS se serait aligné sur une position qui serait celle d’Aides.


(5) Qu’en est-il est des rapports de pouvoir à l’intérieur du Strass : homme/femme, blanc/racisé, cis/trans, tds/alliés. Y-a-t-il des tensions ? Comment abordez-vous la représentativité ou non des figures médiatiques du Strass - essentiellement Morgane Merteuil et toi, deux personnes blanches et cis ? Comment parlez-vous de/pour la diversité strassienne en relation avec la légitimité ou non à le faire ?

Je pense que les rapports de pouvoir existent comme dans tout groupe, mais que nous essayons de progresser. Si à la création nous avons accepté des membres sympathisants qui n’étaient pas travailleurSEs du sexe, l’adhésion est depuis quelques années réservée aux travailleurSEs du sexe. La question de la représentation est difficile car la plupart des travailleurSEs du sexe ne souhaitent pas apparaitre publiquement comme telLEs, en particulier celles qui ont des enfants. Tout le monde ne possède pas les outils Internet, n’a pas la même aisance d’expression à l’écrit ou à l’oral, parce que le capital militant n’est pas le même au départ. Nous tentons de parer à ces inégalités en partageant au mieux les savoirs mais c’est difficile car nous travaillons souvent dans l’urgence et que le temps de la réflexion n’est pas suffisant. Je pense que le STRASS a en tout cas toujours eu comme priorité politique celle des travailleurSEs les plus vulnérables dans les industries du sexe, par exemple en ce qui concerne notre revendication de dépénalisation du racolage public qui ne touche que la minorité des personnes travaillant dans la rue mais qui sont les plus précaires. L’infraction de racolage est principalement utilisée par la police contre les femmes migrantes pour identifier des défauts de droit au séjour, et cela reste notre priorité bien que beaucoup des travailleurSEs du sexe dans la rue ne sont pas inquiétéEs par cette infraction, ou que de temps en temps. Nous avons toujours tenu à maintenir notre revendication de régularisation des sans papiers même si celle-ci était impopulaire auprès de certaines prostituées dites traditionnelles. Je me rappelle que l’association France Prostitution nous avait critiqués sur ce point. Mais je crois que l’insistance du STRASS à porter les revendications des travailleurSEs migrantEs et leur implication dans les mobilisations contre la pénalisation des clients ont fait évolué les mentalités dans le travail de rue. Beaucoup se sont rendu compte que les migrantEs s’étaient plus mobiliséEs que les françaisEs et cela a contribué à faire reculer certains préjugés. Je crois que le STRASS est un des rares groupes politiques où il y a des trans, des séropos, des migrants, des queers, des usagers de drogues, des personnes racisées, y compris dans notre conseil d’administration, et cela se voit dans nos manifestations. Il y a encore beaucoup de progrès à faire pour que la représentation soit plus à l’image du groupe et que toutes les communautés participent, mais nous y travaillons. Récemment, nous avons soutenu nos collègues chinoises qui viennent de créer leur association les Roses d’Acier. Nous espérons que d’autres communautés de travailleurSEs du sexe qui ne parlent pas français parviennent elles aussi à créer leur propre groupe pour organiser leur communauté. Je crois que le STRASS a contribué à montrer que c’était possible en encourageant cette prise de parole et en s’adressant à touTEs les travailleurSEs du sexe quelque soit notre mode de travail ou identité.


(6) Quel serait selon toi les contours, les grandes lignes d’un féminisme pute ? Quelle place pour les travailleurs du sexe et les allié.es ? N’est-ce pas là se limiter à un carcan théorique alors même que les plus grands adversaires des putes sont, avec la plupart des conservateurs et des religieux, les (des) féministes ? Bref, les putes ont-elles forcément besoin de passer par la case féminisme pour s’émanciper ? Autrement dit, la légitimité militante pute doit-elle nécessairement passer par la légitimisation féministe ?

Je pense que nous n’avons besoin de l’adoubement de personne pour militer ou nous sentir légitimes. Notre engagement féministe n’est pas stratégique. Il est sincère. Sans le féminisme, le mouvement des travailleurSEs du sexe n’existerait pas. Il est né dans les années 1970 à la suite des mouvements de femmes de l’époque. Bien que beaucoup de féministes proches du pouvoir sont hostiles à nos revendications et qu’elles apparaissent comme politiquement majoritaires, je crois qu’en réalité, il y a énormément de féministes qui sont sensibles à nos luttes et nous reconnaissent comme féministes. Je crois que la « case féminisme » est indispensable à nos luttes car notre oppression est liée à la structure du patriarcat et à la division des femmes selon la façon dont les hommes s’approprient leur travail de reproduction ou leur travail sexuel, ou les deux. Je crois que le « feminisme pute » a beaucoup progressé ces dernières années en France, grâce à l’apport de Morgane Merteuil qui a écrit de nombreux textes sur les questions du viol, de la capacité politique des femmes minoritaires, ou encore sur la reproduction sociale du travail des femmes en reprenant les analyses de féministes comme Sylvia Federici. Nous sommes très impliquéEs dans les luttes féministes avec le collectif 8 mars pour toutes et j’observe de vrais changements dans la façon dont nos combats sont perçus. Je crois aussi que le féminisme a progressé parmi les travailleuses du sexe qui ne le perçoivent plus nécessairement comme hostile mais comme un mouvement suffisamment riche avec plusieurs tendances au sein desquelles elles peuvent avoir une place. D’ailleurs on parle de plus en plus de féminismes au pluriel, ce que je trouve très intéressant, et je crois que le STRASS a contribué en partie à cela avec d’autres mouvements de femmes minoritaires. Cet été, nous participerons à la conférence féministe francophone de Montréal où l’on pourra se retrouver.


(7) Nous avons créé récemment l’APAQ, un minuscule collectif provocateur. Nous avons fait le choix de l'anonymat pour éviter le back-lash des réseaux féministes québécois francophones, qui préfèrent à quelques exceptions près, préserver leurs liens corporatistes, leurs carrières académiques et militantes, leurs réseaux socioaffectifs, plutôt que de se mettre en danger en militant pour l’émancipation des putes. Crois-tu qu’un Strass québécois pourrait être une réponse à ce statu quo féministe, qui neutralise la convergence des luttes ?

Je ne sais pas car je ne connais pas le contexte québécois. A priori je pense que l’outil de syndicat est utile mais il n’y a pas un modèle de luttes à imposer. Nos collègues québécoises doivent trouver leurs propres outils qui conviennent le mieux à leur situation. Il y a beaucoup de choses intéressantes qui viennent du Québec et qui nous inspirent aussi. En France, les travailleurSEs du sexe sont également excluEs de la plupart des espaces universitaires car il y a encore un grand fossé entre les savoirs dits militants et ceux qui peuvent entrer dans l’université. Depuis peu, nous sommes publiéEs dans des revues de gauche qui s’intéressent aux sciences sociales et je pense qu’il y a un intérêt croissant pour les recherches concernant les industries du sexe, sans doute parce que nous parvenons de plus en plus à démontrer les carences scientifiques de certains discours militants ou qui se présentent comme scientifiques. Je pense par exemple à Richard Poulin dont le travail apparait de plus en plus comme une supercherie.


(8) La loi C-36 a été adoptée en décembre dernier au Canada. Le Strass a d’ailleurs soutenu les organisations canadiennes qui s’y opposaient. La police québécoise a indiqué que cela ne changeait rien à son plan stratégique, consistant à cibler et criminaliser les cas de prostitution avec coercition uniquement. Donc pas de pénalisation des travailleuses(rs) du sexe dans tous les cas, ni des clients et des tierces-parties si ces-derniers n’exercent pas de coercition. C’est une bonne nouvelle et c’est rare que la police exerce un droit de réserve par rapport à une loi. Qu’en est-il de la situation en France ? Pensez-vous que la loi Olivier/Coutelle sera adoptée avant la fin de l’actuelle mandature ?

Je pense qu’il faut se méfier de ce que dit la police car tant qu’une loi est là, une application est toujours théoriquement possible. Tant mieux si ça n’est pas le cas, mais la confusion étant souvent très grande entre la coercition et les formes de travail non forcées, il n’y a a priori aucune garantie qu’une forme de pénalisation ait quand même lieu. Il faut de plus penser nos luttes au-delà de la dépénalisation ou malgré la pénalisation. Il y a des choses à faire pour améliorer nos conditions de travail, y compris dans un cadre non légal. En France, la proposition de loi est actuellement bloquée au Sénat. Nous sommes donc dans l’expectative car à tout moment une décision politique peut la remettre à l’ordre du jour. Je ne peux donc pas répondre à la question. L’agenda pour dépénaliser le racolage est du coup lui aussi bloqué car il a été conditionné à la pénalisation des clients et de nombreux arrêtés municipaux sont adoptés pour renforcer localement les mesures de pénalisation. Nous avons pour l’instant réussi à empêcher la pénalisation des clients, mais les conditions de travail ont continué à se dégrader.