jeudi 4 juin 2015

« Tu dis prostitution, je dis travail du sexe » (magnifique texte reproduit ici avec l'aimable autorisation de son auteure).

mardi 2 juin 2015



Vous vouliez rayer le terme travailleuse du sexe. Alors on vous a traitées de putophobes. Ça arrive qu'on réagisse mal quand on se sent attaquée. Quand on se sent reniée dans son identité. Mais moi je traite pas les gens de putophobes. Je les traite pas de putes ou de prostituées non plus. J'essaie de comprendre. J'essaie de vous comprendre. Même si vous pensez que je suis trop individualiste, égoïste et inexpérimentée pour m'intéresser aux idées des autres. Je vous juge nécessaires même si vous pensez que je suis nuisible.

Comment ça fonctionne l'abolitionnisme? Explique-moi comment c'est pas une pensée magique. On vote ça, mettons. On vote ça après-midi, ça passe, on l'applique demain. On applique quoi? Comment? Tu l'appliques comment l'abolition de la prostitution? En installant des snipers et en tirant à vue les filles et leur pimp sur la rue jusqu'à temps qu'il n'y en ait plus? Qu'est-ce qui va changer demain? Tu te rends pas compte de la violence de ta position? Abolir la prostitution. Abolir les prostituées. Abolir.

C'est comme un voeu pieux.

Ce que tu proposes, n'est-ce pas justement de faire comme si ça n’existait pas? Abolir la réglementation, abolir la prostitution. Dès demain on n'en parle plus. On enferme tous ceux qui en ont profité sauf les filles, les filles prostituées, parce que les filles proxénètes c'est comme moins des filles, on va les traiter comme des hommes, c'est ça?

Et on va vivre comment? Avant de venir dire de se trouver une autre job, avant de demander aux filles de ne plus échanger de services sexuels contre de l'argent, as-tu réfléchi à la réalité matérielle de ceux et celles que ça touche? Comment on paie son loyer, comment on fait l'épicerie? Une mère monoparentale avec des enfants en bas âge, qui reçoit quelques clients par mois, tu vas lui proposer quoi en échange de ce qu'elle a choisi pour arriver? Les filles n'ont qu'à choisir autre chose, comme dit Julie Miville-Dechêne. Peut-être que toutes les filles n'ont pas le même éventail de choix que toi et tes amies. Peut-être que l'abolitionnisme, c'est la position des privilégiés qui condamnent les moyens des classes inférieures sans en connaître la réalité.

Mais oui, mais plein d'anciennes TDS sont abolitionnistes. Et après? Qu'est-ce que ça prouve? Ce n’est pas la seule job au monde qu'on est susceptible de vouloir voir disparaître en la quittant. Et ces filles, j'aimerais bien qu'elles m'expliquent dans quelle mesure l'abolitionnisme les aurait aidées quand elles étaient TDS. Qu'est-ce que la criminalisation des clients et des tierces personnes leur aurait apporté? En quoi cela aurait rendu ce qu'elles avaient à faire plus facile et les auraient aidées à en sortir plus facilement? Concrètement là.

L'abolitionnisme, c'est une position utopique. Tu veux abolir le travail du sexe? Moi je veux abolir le travail. Je veux qu'on soit tous égaux, qu'on ait tous les mêmes droits et les mêmes chances. En attendant mon loyer est en retard et si je prends pas un rendez-vous ce soir, tu vas faire quoi pour m'aider? Les abolitionnistes nous disent qu'il y a une autre vie possible. Mais oui, travailler plus pour moins d'argent dans un contexte plus sécuritaire c'est possible. Peut-être pour toi, moi j'ai d'autres contraintes et tu n'es pas du tout habilité à juger de mes capacités et de mes possibilités. Ne me dis pas ce qui est bon pour moi. Demande-moi ce que je veux. Ce qu'il me faut selon moi pour améliorer mes conditions de vie.

Ce n'est pas parce que la prostitution existe que la femme est subordonnée à l'homme. C'est parce qu'elle est déjà subordonnée à l'homme qu'elle échange des services sexuels pour assurer sa survie. La sexualité des femmes est toujours perçue comme étant dégradante. On conditionne les femmes à ne jamais consentir aux relations sexuelles gratuitement et sans garanties. Celles qui aiment ça sont des salopes.

Cette fin de semaine j'étais assise près d'une fée qui blaguait : "Les hommes blancs abolos sont rien que des clients radins." C'est vrai, que j'ai répondu. Ceux qui ne veulent pas payer. Qui exigent donc gratuitement du sexe. Un droit qu'ils revendiquent.

Quand tu dis qu'avant la violence conjugale c'était un problème privé et qu'on a réglé ça en criminalisant les maris... Fuck. Premièrement t'aurais dû ajouter violents après maris, parce que même si ça fait pas ton affaire, le simple fait d'être un mari n'est pas encore un acte criminel. Et tu sais quoi? Deuxièment, on n'a pas aboli le mariage pour autant. Et si on avait essayé, on n'aurait rien réussi. On a pas juste fait de la violence conjugale un crime (Il va de soi qu'il faut agir concernant la violence dont sont victimes les TDS, là-dessus tout le monde s'entend!). On a éduqué les garçons et les filles, on a éduqué toute la société. On a fait en sorte que les femmes directement concernées prennent conscience de leur valeur et on leur a offert des possibilités, des issues. Oui, des alternatives. On a fait en sorte que les femmes soient moins vulnérables. Et on a exigé des hommes le respect. Maintenant que les messieurs ont appris à respecter leur épouse, il sont certainement capables d'apprendre à respecter les travailleuses du sexe. Puisqu'il s'agit des mêmes hommes.

Certaines pensent que d'accepter et reconnaître le mariage, ce n'est pas féministe... c'est triste de déterminer à la place des autres femmes ce qui est ou n'est pas féministe. Si tu abolis la prostitution reste plus que le mariage pour ne pas crever de faim.

C'est quoi les possibilités que tu nous offres? On abolit tout demain matin, on met tous les méchants hommes en prison et après? Comment on fait pour vivre? Après demain je paie mon épicerie comment?

Ta réaction est épidermique. Travaillons à régler les inéquités, travaillons à ce que le logement et l'alimentation soient des droits. Militons pour un revenu minimum garanti, pour de meilleures conditions de travail pour tous. Rassemblons toutes les conditions nécessaires à l'autodétermination des femmes, même celles qui ne font pas ce que tu veux. Travaillons en amont.

Je sais que ça te dérange, mais je pense que ta solution n'en est pas une. Aussi longtemps que tu tenteras de nous dire quoi penser plutôt que d'écouter TOUTES les personnes concernées, tu feras fausse route. Arrête de te braquer, arrête de dire que je protège des pimps. Quand le métier de travailleuse du sexe sera reconnu, protégé, réglementé, ceux et celles qui sont reliés de près ou de loin à cette profession auront accès à la protection des services policiers, à des soins de santé, au respect du reste de la population. Elles seront en mesure de dénoncer la violence dont elles sont victimes et nous pourrons plus facilement distinguer les situations ou des gens sont exploités et contraints. Parce que personne au monde n'est pour la traite d'êtres humains. Arrête de dire que c'est de ma faute.

L'abolition et le statu quo condamnent les filles à la clandestinité.

Moi je pense que l'abolitionnisme est en partie responsable du slutshaming et de la culture du viol. On est dans le déni total. La prostitution ce n’est pas beau. Ce n’est même pas un métier alors c'est normal d'être mal traitée si on choisit ça. Bon après on vient nous dire que ce n’était pas un choix et qu'on va nous en sortir malgré nous parce que c'est sale et on trouve qu'on fait pitié. On considère que ce travail déshonore et oppresse toutes les femmes. Euh... allô?! Je pense que la travailleuse du sexe sur la rue vit pas mal plus d'oppression que toi et tu fais malheureusement partie de ses oppresseurs. Alors tu devrais lui demander ce qu'elle veut au lieu de le décider à sa place. Empowerment 101. Si elle veut manger, donne-lui de la soupe. Si elle veut arrêter, accompagne-la dans ce sens-là. Si elle veut continuer, accompagne-la dans ce sens-là. Trouve avec elle des solutions sur mesure pour améliorer ses conditions de travail. Pour qu'elle soit en sécurité. Après, tu viendras me dire que tu es solidaire. Pas solidaire de ceux qui pensent comme toi. Solidaire. Point.

Les gens n'ont pas besoin de plus d'interdictions, mais de solutions. Des solutions adaptées à leur réalité. Dis-moi, qu'est-ce qui a tant changé concrètement dans la vie des filles depuis l'adoption de C-36? Combien de bordels fermés, de méchants arrêtés, de filles sauvées? La prostitution a-t-elle été abolie par la politique abolitionniste des conservateurs? 400 ans d'abolitionnisme n'ont pas fait du Canada un pays sans prostitution.

Cette fin de semaine, les militants d'un parti de gauche ont été confrontés aux théories Queers et ç'aurait dû être un événement fabuleux, une grande fête. À la place, vous êtes une poignée à déchirer vos cartes et à défendre une idée selon votre point de vue et jamais vous ne vous donnez la peine d'écouter. Juste écouter. Peut-être. Peut-être que l'abolitionnisme n'abolira pas la prostitution. Peut-être qu'il faut continuer de réfléchir toutes ensemble.

Pis moi aussi j'ai de la peine. Moi non plus, j'ai pas tout gagné. On a quand même conservé le mot problème. Comme dans problème social. On l'interprète comme on veut. Tu dis prostituées, je dis travailleuse du sexe et à mon sens, c'est un problème social PARCE QUE les filles sont encore considérées comme des victimes complètement aliénées et incapables de réfléchir à l'amélioration de leurs propres conditions de vie.

Et tu sais quoi? Malgré ton mépris, malgré ta rigidité, moi je veux encore travailler avec toi.


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